Evitement de bipède en marche.
C’était J-2 avant la rentrée... Petite ballade frisquette avec Lonesom’Girl autant pour se rappeler les codes citadins en vigueur (réadaptation nécessaire après une longue période à la campagne, sans feu rouge ni zébra cross, et surtout sans foule à traverser) que pour le plaisir.
Côté foule à traverser, nous étions servies et Lonesom’Girl a eu bien du mal. Les évitements de bipède en marche l’ont amusée au début, puis impatientée, puis fatiguée.
Soudain dans la rue piétonne surgit devant nous un énorme bonhomme avec une pancarte « câlin gratuit ». Lonesom’Girl a une manie (enfin, plein...) c’est de vouloir lire tout ce qui passe à sa portée, et la pancarte n’est pas à sa portée... elle s’approche donc et déchiffre péniblement (c’est écrit petit pour sa vision basse).
- ca...lins... gra...tuits, lit elle
Le jeune homme, pensant qu’elle est intéressée, lui demande gentiment si elle veut un câlin.
Elle est très surprise, recule de 3 pas : elle n’avait même pas vu qu’il y avait quelqu’un derrière.
- Non, je ne veux pas
Il me regarde et lui demande
- tu as peur ?
- j’ai peur de quoi ?
- tu as peur des câlins ?
- Non, je n’ai pas peur des câlins, je n’aime pas les câlins
À ce stade, je juge nécessaire d’intervenir et je lui explique « que ce n’est pas vraiment un câlin, c’est une étreinte, ou une accolade, c'est-à-dire qu’il n’y aura pas de bisou, on va te serrer dans des bras ».
- qui on ?
- le monsieur devant toi
Elle le regarde par-dessus ses lunettes, et doit commencer à comprendre que derrière le bibendum il y a un "vrai" jeune homme.
- non, je ne veux pas
Et elle se détourne.
Chaque fois que je vois Lonesom’Girl éviter les bises, je pense à une anglaise qui me disait qu’elle trouvait ça parfaitement dégoutant et impoli (absolutely disgusting and rude) mais assez exotique (quite exotic).
Je crois que les français ont la particularité de faire des bises tout le temps, le matin le midi le soir, aux anniversaires, aux fêtes, pour dire merci, au revoir etc. Les bises, c’est pas forcément agréable, ça claque à côté de l’oreille bien souvent, ça pique, c'est proche et souvent intime et j'imaginais donc que Lonesom'Girl apprécierait peut être une étreinte sans bisous (perso, j’aime mieux les étreintes sans bisou !).
J’explique sommairement au jeune homme la situation et j’ajoute que déguisé ainsi, il y a encore moins de chance pour qu’un autiste saute sur un câlin.
- Pourtant me dit le jeune homme hyper extatique, ça devient super à la mode, à la Japan expo par exemple, on voit des groupes entiers de freehuggers se précipiter sur les gens, c'est génial ces câlins en groupe...
Beuark, vison de cauchemar pour ma part.
J’imagine Lonesom’Girl se baladant à la Japan Expo avec la pancarte "kein Gratis Umarmung", "no Free Hugs" ou "no abrazos gratis"...
Bref, ce petit moment de détente m’a fait oublier le cap qui se rapproche. En effet, Lonesom’Girl a eu son brevet et poursuit sa route en seconde professionnelle dans un lycée qui accueille des déficients visuels. Je passe sous silence les difficultés pour y rentrer pour ne garder que le meilleur : elle est ravie d’y aller.
Et moi je me sens comme un général avant une bataille.