Howard et moi
Repeignant mes ouaoua, mes avant bras et mon cou, je manquai de peinture (entre autres), et emmenai La Petite Fille dans un supermarché de bricolage. Toute ma ville s'était donné RV ici même ce jour là ....3/4h de file d'attente, et une Petite Fille sagissime, contrairement à 2 affreux Troll velus à puissance vocale incroyable. Un homme handicapé, en fauteuil roulant, patientait dans la file d'à côté, et ce binôme, cette entité, cette créature roulante intrigue beaucoup La Petite Fille : l'année prochaine, elle sait qu'elle va aller dans un collège où le PPCD de chaque élève sera un handicap, le plus souvent moteur. Un lycée comme ça ne devrait donc plus exister depuis février 2005, mais fort heureusement si : il accueille ma fille, son autisme et sa basse vission.
Je propose à cette personne à mobilité réduite de passer devant moi. Le papy de l'affreux Troll velu gromelle "ben heureusement qu'ya pas tant d'handicapé que ça, on s'en sortirait pas...".
Je me retourne et je sourie à cette personne à humour réduit en lui disant qu'il n'a pas de chance, sa file en compte 2. Il se rebiffe : il faisait juste de l'humour. Je sourie encore plus, tout en regardant La Petite Fille qui semble réfléchir intensément. Comme c'est devant ses questions qu'il faut décortiquer ce qui lui fait problème, je sens que ça va être un dur moment pour moi. Je fais zen et zazen, et me prépare à répondre à une demi douzaine de question de façon sereine et décontractée...
- "Il y a un enfant sur le fauteuil," me dit la Petite Fille
- "Non, c'est un adulte. Il te semble petit car il est assis". (mensonge : il est petit, mais soit).
- "Il est sur un fauteuil car il ne peut pas marcher".
- "C'est ça"
Elle s'approche de la personne et constate, étonnée :
- "Il a des jambes". (je crois que jusque là, elle pensait que ces personnes n'avaient pas de jambes, car sa vue ne lui permet pas de les voir, et son esprit littéral ne lui permet pas d'imaginer ce qu'elle ne voit pas).
- "Oui, mais ses jambes ne marchent pas".
- "Ses jambes ne fonctionnent pas" corrige t- elle
Intense réflexion. Puis :
- "Je n'aime pas les handicapés".
- "Pourquoi ?"
- "Ils ne parlent pas".
Si seulement le monsieur pouvait parler, ça m'aiderait bien à la convaincre du contraire, mais le fond sonore est tellement puissant que je doute qu'il ait entendu nos échanges (et au fond, tant mieux ! ) et donc il ne parle pas., effectivement, mais j'en connais au moins une qui pourrait lui donner la preuve que si !
- "Combien de rayons a la roue ?"
Chouette, un dérivatif (puissant !).
Je reconnais alors une ancienne prof de français l'Outlaw, qui accompagne cette personne et je me présente.
- "ah oui... l'Outlaw ! j'aimais beaucoup cette élève, très intéressante, très vive, très mature".
Je garde pour moi le fait que ce matin, je ne l'ai trouvée ni vive ni mature. Et je bois du petit lait, ça fait toujours du bien, je fais provision pour des jours moins bons.
"Et, me dit elle, que devient la petite soeur handicapée de l'Outlaw ?".
Je lui présente, arrachant la petite fille à la contemplation ravie de la roue du fauteuil.
- "il y a 32 rayons à la roue, comment tu t'appelles ?" dit la petite fille,.
- "Bonjour, j'ai été la prof de français de ta soeur."
- "maquelle soeur ?"
- "Vous connaissez Howard Buten ? me dit elle précipitamment avec un air de compréhension extraordinaire. Il a écrit des pages superbes, et son spectacle avec le clown Buffo est absolument superbe" ect ect, elle me décrit un passage qui semble en effet plutôt poétique et sympa, SAUF QUE MOI, HOWARD, la poésie, j'ai du mal à la trouver dans mes journées.
J'avoue : je connais les écrits de Butten, que j'apprécierais si ça ne parlait pas d'autisme. Pourquoi à chaque fois qu'on voit ma Fille, bizarre et détonnante, on me parle de Butten ? Très honnêtement, il y a très peu de rapport entre le monde poético-psychiatrique de Howard et le nôtre, plutôt terre à terre.
- "et comment ça se passe, la 3ème pour l'Outlaw ?"
- "bien bien, hormis quelques problèmes de discipline" (sur lesquels je ne m'attarde pas).
- "ah oui, mais vous savez, elle doit s'ennuyer, déjà en 5ème je la sentais s'ennuyer : elle pigeait tellement vite ".
Je n'avais pas vu les choses sous cet angle, je suis donc rassurée, ce n'est que de l'ennui, voilà qui convaincra certainement ses enseignants actuels. Cette prof de français est vraiment adorable, je comprends l'Outlaw, qui l'a bien aimée, dans son référentiel plus de 16 ans. Nous nous quittons à la sortie du magasin, et la Petite Fille regarde la roue s'éloigner avec envie.
- "Dans mon collège, il y aura des roues"
- "oui, mais pas que, il y aura des enfants, dessus".
- "chaque enfant aura un fauteil avec 2 roues et 32 rayons".
Je la vois déjà compter le nombre vertigineux de roues et rayons auxquells elle pourra s'intéresser... Qu'en dirait Howard ?